EXTRAIT
Songe d’une nuit d’été…
La nuit tous les chats sont gris… à ce qu’on dit souvent ! Mistigri, justement, se baladait tranquillement sur une gouttière en zinc, perché à 20 mètres du sol.
En ce dimanche 15 août, la ville était déserte et la nuit assez claire grâce à la pleine lune qui baignait d’une lumière blafarde les toits de Paris. D’un pas feutré et silencieux, il marchait tel un mannequin de mode, croisant ses jambes sans à-coup à un rythme régulier et sûr. Comme tous les félins de son espèce, il ne connaissait pas le vertige… Faiblesse tout juste destinée aux humains.
Il avait quitté son appartement douillet parisien sous le regard ébahi de son maître qui, bien que rapide à le poursuivre, ne put éviter la fuite de l’animal par la fenêtre grande ouverte. Quelques mètres plus loin, disons hors de portée de main, pour être plus clair, le chat avait stoppé et regardait Alexandre avec un air si malin, qu’il en avait presque pitié pour lui, mais le chat se détourna bien vite car il avait un autre dessein en prévision.
Il avait grand besoin de prendre l’air ce soir là et surtout de rencontrer celle qui l’inondait de ses effluves de phéromones… Les caresses du maître ainsi que la douce chaleur du canapé attendraient son retour. Pour l’heure, il humait les odeurs vacillantes qui passaient devant ses narines en espérant trouver la bonne direction.
Mistigri était assez confiant et sûr de lui, il sentait qu’il se rapprochait de la minette en question à chaque centimètre qu’il parcourait…
Son plan avait été très bien calculé… D’abord une grosse toilette impeccablement réalisée, afin de mettre toutes les chances de son côté. Puis, une ébauche de réflexion afin de trouver le moyen de s’éclipser rapidement sans se faire prendre, car il n’aurait que très peu d’occasions, il en était totalement conscient… Alors une fois sur le toit, quel bonheur de voir son maître penché à la fenêtre totalement en perdition…
Il avait mis quelques jours à tout préparer dans les moindres détails, et il était fier de sa réussite totale. Alexandre n’avait rien vu venir… Le monde des femelles du quartier s’offrait à lui… Elles n’avaient qu’à bien se tenir, ah ah ! Le poil lustré et brillant prodigué par les caresses incessantes d’Alex, lui fournissait un habit d’apparat hors norme et sa virilité n’en était que plus aiguisée encore. Décidemment cette petite balade au clair de lune s’augurait sur les meilleurs auspices.
Chemin faisant, il apercevait de loin, une silhouette bien séduisante sur le balcon de Mr Legros… Une belle robe blanche et des miaulements qui minaudaient dans sa direction commencèrent à le séduire totalement. Elle était toute en beauté et les reflets bleutés de la lune sur son pelage immaculé rajoutait encore à un exotisme des plus torrides.
Ses vibrisses frétillaient d’avance, il ne lui restait qu’une vingtaine de mètres pour être à sa hauteur… D’un coup de patte magique, il rajusta sa tenue afin d’être impeccable face à cette belle inconnue et continua d’avancer tout en douceur. Il avait le temps, et même toute la nuit s’il le fallait… Ah, quel bonheur, cette petite liberté d’un soir d’été, tout de même… Et puis le jeu en valait la chandelle, tant de désir perdu des semaines entières méritait bien une petite récompense…
Mr William Shakespeare n’aurait pas dit mieux… Pensa-t-il. Pour l’heure, sa chérie d’un soir n’était plus qu’à un petit pâté de maison quand soudain surgit un obstacle inattendu, ou plutôt plusieurs…
Un maudite rue faisait obstacle et il était inconcevable de sauter aussi loin… Mais s’il n’y avait eu que ça ? Trois espèces de marcoux tigrés bien mieux placés que lui se disputaient déjà la place et surtout sa belle… Et l’autre pimbêche faisant des roulades devant leurs yeux, à même le sol de son balcon…
La scène était bien trop obscène pour Mistigri. Outré par tant de débauche et archi vexé de ne pouvoir rivaliser avec ces petits prétendants aristocratiques des beaux quartiers, il dut à regret, jeter le gant et abandonner la partie…
Désabusé et la queue basse, il rejoignit son domicile en trainant les pattes, pris une engueulade méritée par son maître et se réfugia bien loin en finissant sa nuit caché sous le lit…
De son escapade nocturne, il ne lui restait que de vagues souvenirs d’une belle Duchesse tout de blanc vêtue et dont il était tombé éperdument amoureux…
Le lendemain, Alexandre avait placé un ruban de canisse interdisant toute sortie intempestive du chat… Le pauvre Mistigri fut ainsi condamné pour le restant de ses vieux jours à rêver toutes les nuits à cette petite minette avec un grave arrière goût d’inachevée…