LES MYSTERES DE L’OUEST

EXTRAIT

Gordon ne passait pas inaperçu, il parlait fort et commençait à s’attirer les faveurs du maître d’hôtel. C’était bien le but recherché. Il savait dégager de sa bonhommie apparente la confiance en toute sincérité. Le serveur revint avec la bouteille de whisky qu’il ouvrit devant lui.

– Tabar, c’est un nectar qui rendrait jaloux le plus beau sirop d’érable. Maintenant passons aux choses sérieuses. Que proposez-vous de fameux afin de régaler ma panse ? Z’avez du caribou en sauce ?

– Non monsieur, en revanche je puis vous proposer du bison, il fait la réputation de tout l’établissement à dix mille yards à la ronde.

– Parfait, c’est moins pire ! Allons-y donc pour le poilu, my god !

– Avec des potatoes ?

– Allez, avec des potatoes ! Dites, vous donnerez une double-ration à mon trotteur également ça serait charitable ! Ne vous inquiétez pas, j’ai du dollar tout frais !

– C’est comme si c’était fait, monsieur.

– À la bonne heure !

Gordon sillonnait du regard la salle qui s’était remplie entre temps. Il s’arrêta sur la table voisine où deux bourgeoises le dévisageaient outrageusement. Il retira son couvre-chef de fourrure noire, en guise de salut amical doublé d’un large sourire.

Deux splendides créatures, d’un âge certes avancé, mais dont les proportions ne laissaient rien à l’abandon ni équivoque. À portée de voix, il se risqua à les interpeller, en modifiant légèrement ses expressions tout en gardant son accent.

– Mesdames, pardonnez mon intrusion, mais vous êtes de la région ?

– Cher monsieur, nous habitons en ville, répondit l’une d’elles en rougissant légèrement.

– Dans ce cas, vous allez pouvoir m’aider, puis-je me joindre à votre table ?

La rouquine interrogea la blonde un peu plus âgée, et répliqua…

– Habituellement nous évitons les étrangers, mais vous semblez doué de certaines bonnes manières, alors c’est d’accord…

– Vous me flattez mesdames, permettez… Justin Lefour, pour vous servir, chacune tendirent leur main en gloussant comme des poulettes.

– Mrs Kelly Brown, et voici Mrs Annet Stirp. Alors dites-moi Mr Dufour, que faites-vous dans la région ? À voir votre tenue, vous rentrez de la chasse ?

– Exactement, vous avez clairement deviné, êtes-vous voyante Mrs Brown ?

– Pas encore, mais j’y songerai grâce à vous, Mr Lefour. Et que chassez-vous Mr Lefour ? Si ce n’est pas indiscret.

– Toute sorte de gibier qui passe devant moi.

– J’espère que nous ne sommes pas des proies pour votre fusil, minauda Mrs Stirp ?

– Ne craignez rien Mrs Stirp, ni vous Mrs Brown, la saison se termine et je rentre chez moi à Dawson Creek. J’ai récolté une douzaine de fourrures d’ours, ce qui sera suffisant pour me faire passer un bel été.

– Ah, vous êtes donc canadien ?

– Pour vous servir Mrs Brown. Je vous offre un verre, le temps que les plats arrivent ?

– Volontiers, Annet un gin citron ?

– Oui parfait, pour moi également… Dit Kelly Brown.

– Je m’en occupe, dit Gordon en levant le bras.

– Monsieur désire ?

– Servez donc ces deux colombes, d’un gin accompagné de son citron.

– Et pour monsieur ?

– Apportez-moi donc cette bouteille restée sur ma table, j’ai changé de quartier depuis. Dit-il en joignant un autre clin d’œil.

– Bien monsieur, à propos votre monture déjeune à l’écurie.

– Vous serez sanctifié par Dieu tout puissant, mon brave.

– Merci monsieur.

– Ce doit-être passionnant de chasser les ours, racontez-nous, cela nous intrigue, Annet et moi, n’est-ce pas Annet ?

– Assurément Mr Lefour, seul face à un monstre ce doit-être, euh… Dangereux ?

–   J’oserai ! Je vous montrerai mes cicatrices au combat… Mais ici ce serait indécent.

– Oh, Mr Dufour, dit Kelly offusquée.

– La bête est perverse… On doit toujours se tenir à distance de ces griffes, seulement assez près pour ne pas la rater. Il faut ramper parfois à son insu, sans qu’il puisse nous percevoir dans son champ de vision ni trahir notre odeur, il faut tenir compte du sens du vent ! Alors quand toutes les conditions sont réunies, on se redresse et on se concentre car on n’aura droit qu’à un seul essai. Ce moment crucial augmente vos pulsations cardiaque à tel point que vous l’entendez résonner dans votre cage thoracique. L’instant de grâce arrive, il vous a repéré et s’avance doucement dans votre direction. La peur doit vous échapper un court instant, on épaule, on vise la tête pour ne pas abîmer la peau. Le seul tir doit être ajusté avec précision pour qu’il soit létal… Si on le manque, lui ne vous manquera pas.

– Quel courage exemplaire, Mr Lefour ! Tout cela me retourne.

– Vous avez raison, changeons de sujet, mais parlez moi de vous Mesdames, que faites-vous dans cette ville loin de tout ?

– Moi je tiens une mercerie, à l’entrée du village, quant à Mrs Stirp, elle est veuve la pauvre, son défunt mari l’a quitté il y a déjà deux ans.

– Mrs Stirp, toutes mes condoléances.

– Donc, elle est revenue vivre ici auprès de ses parents très âgés… Voyez-vous ?

– Ce doit être un changement de vie tellement radical pour vous, très chère Annet ?

Elle soupira de tristesse.

– À propos Mr Lefour, vous ne deviez pas nous demander de l’aide ?

– Et bien, je ne vais pas vous embarrasser avec mes questions stupides, après ce que je viens d’entendre à propos de la pauvre Mrs Stirp.

– Mais Mr Lefour, vous ne pouviez pas savoir, n’est-ce pas Annet ?

– Oui Kelly à tout à fait raison, dites-nous tout Mr Lefour.

– Vous êtes sûr ? Et bien voilà…

Le serveur amena les trois plats sur la table. Gordon pestait contre lui en silence. Et il prenait son temps l’animal ! S’il avait pu, ne serait-ce que l’étrangler, mais non au lieu de cela, il souriait à ces dames.

– Oh cela à l’air délicieux, dit Kelly. Qu’avez-vous commandé Mr Lefour ?

– Du poilu aux potatoes, euh… Pardon, je veux dire du bison ! Chez nous là-bas on appelle le bison ainsi.

– Mais ne vous excusez surtout pas, Mr Lefour, dit Kelly… Le Poilu ?…Ahhhhh, ahhhh ahhh, hiiii, hiiii… hiii, hiii, hiii… En voilà un nom ? Non mais sans blague, Annet dit quelque chose ! … Du poilu !!! Excusez-moi, je ne peux m’empêcher de rire.

L’ensemble de la salle se tourna vers leur table ! Mais qu’avait donc fait cet homme des cavernes, pour faires rire aux éclats, de si jolies femmes. Le spectacle était saisissant presque surnaturel même.